Des initiatives pour réduire la fracture numérique
Le gouvernement français est engagé dans une course effrénée au « tout numérique ». Son objectif : dématérialiser toutes les démarches administratives d’ici 2022. Or plus d’un Français sur quatre n’y est pas préparé. Pour réduire cette fracture numérique, le Secours Catholique aide les ménages à s’équiper et organise des ateliers d’initiation, comme à Bourg-en-Bresse.
« J’ai toujours compté plus vite que les calculatrices. Et j’ai longtemps pensé que je pourrais me passer d’informatique. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle arrive si vite, cette numérisation de la société. » Michel, 73 ans, ancien professeur d’histoire, explique ainsi la raison de sa présence à l’atelier numérique du Secours Catholique de Bourg-en-Bresse, dans l’Ain. Cet atelier qui a lieu tous les vendredis après-midi pendant un mois et demi.
« J’accompagne bénévolement des migrants dans leur apprentissage du français et dans leur recherche d’emploi. Mais aujourd’hui, eux comme moi, nous ne pouvons plus rien faire sans passer par Internet. C’est incontournable. »
Dans la petite salle de réunion qui donne sur une cour intérieure fleurie, il y a aujourd’hui cinq participants, tous retraités. Chacun est assis devant un ordinateur portable et assisté par un jeune bénévole. La plupart ont moins de 30 ans.
S’initier
En bout de salle, Christine et Matthieu animent la séance. Pour son enseignement, Christine Bouvier, 59 ans, médiatrice numérique, utilise la plate-forme numérique d’Emmaüs Connect, « Les bons clics ». « Elle propose des exercices ludiques et toute une gamme de tutoriels simples pour des débutants. Cet enseignement me motive, ajoute-t-elle, par ce qu’il apporte aux participants. Je les vois repartir souriants, ravis d’avoir appris. »
L’accent est mis sur le vocabulaire. Le numérique est une langue étrangère faite de gestes et de mots dont il faut percer les mystères. « Il faut expliquer ce que sont une icône, un bureau, une tâche, un dossier, un navigateur, un moteur de recherche, une application, une URL », précise Jonathan, 26 ans, l’accompagnateur de Michel. « Autant de termes que ne maîtrisent pas les participants. Beaucoup ont du mal à se repérer sur l’écran. Et puis tout le monde ne sait pas comment allumer un ordinateur… »
Réduire la fracture
Matthieu Desloges, animateur du Secours Catholique à Bourg-en-Bresse, est le moteur de cet atelier. « Tout le matériel que vous voyez là, c’est notre parc informatique mobile. 8 ordinateurs portables, un ordinateur principal pour l’animation, un vidéo projecteur, un routeur 4G, des multiprises. Nous pouvons nous déployer partout en une demi-heure. Notre but est d’aller dans toutes les équipes locales de notre territoire. » L’atelier a pu démarrer grâce à un financement du Secours Catholique (7500 €) et de la Caisse d’allocations familiales (5000 €). Pour multiplier les ateliers, Matthieu espère obtenir le soutien du gouvernement, par l’intermédiaire du plan France Relance.
La précarité numérique (parfois appelé « illectronisme ») toucherait 14 millions de Français, selon France Stratégie. Pour Didier Duriez, chargé de mission à la direction Générosité du Secours Catholique, ce chiffre recouvre plusieurs manques : « manque de moyen financier, manque de connexion ou manque de connaissance ». Les trois peuvent se cumuler.
La fermeture des établissements scolaires lors du premier confinement a révélé l’ampleur de la fracture numérique. « Dès le mois de mars 2020, rappelle-t-il, nous avons lancé l’alerte. Les enfants n’arrivaient pas à suivre les cours à distance, les étudiants n’arrivaient pas à se connecter. Les familles se sentaient isolées. »
Dès le mois de mars 2020, nous avons lancé l’alerte. Les enfants n’arrivaient pas à suivre les cours à distance, les étudiants n’arrivaient pas à se connecter. Les familles se sentaient isolées.
Faire front et Équiper
Craignant l’échéance de 2022, date prévue par le gouvernement pour « la dématérialisation de 100 % des démarches administratives », le Secours Catholique s’est engagé à agir sur deux fronts : sur le terrain et dans la sphère politique.
Sur le front politique, explique Didier Duriez, « nous tentons de freiner la course au tout numérique imposée par le gouvernement ». Le Secours Catholique invite le gouvernement à la concertation pour protéger les personnes incapables d’utiliser les outils informatiques. Et n’hésite pas à poursuivre devant les tribunaux les préfectures qui ne respectent pas l’injonction qui leur est faite de conserver des accueils physiques.
Sur le terrain, tous les lieux d’accueil de l’association devront être équipés d’ordinateurs et les bénévoles formés. Il s’agit aussi d’aider les foyers en difficulté à se procurer du matériel.
« Au début de la pandémie, le Secours Catholique a débloqué 110 000 € pour fournir du matériel informatique à un millier de personnes, affirme Didier Duriez. Des ordinateurs ou des tablettes achetés auprès d’entreprises de l’économie sociale et solidaire spécialisées dans le recyclage de parcs informatiques. Un partenariat avec Emmaüs Connect a aussi permis de distribuer des cartes de connexion prépayées pour téléphones, tablettes et ordinateurs. »
Former, accompagner
Dans les zones rurales, l’aide au numérique est déployée dans des véhicules utilitaires. Souvent en partenariat avec les départements ou les communes.
Dans l’Eure, un salarié des services sociaux tient une permanence tous les quinze jours dans le minibus connecté du Secours Catholique.
A Aurillac, dans le Cantal, le Conseil départemental a mis à la disposition de l’association deux minibus équipés pour aller à la rencontre des personnes ayant besoin d’accéder à Internet. « Nous les aidons à déclarer leurs impôts, à contacter la caisse d’allocations familiales, à remplir des formulaires, indique l’animatrice, Lydie-Anne Jourdain. Ces bus proposent aussi des ateliers numériques à ceux qui en ont besoin. La plupart des participants ont plus de 70 ans. »
« Moi je suis né avec l’informatique et tout cela me semble naturel, déclare Jonathan au sortir de l’atelier de Bourg-en-Bresse. Comme je me débrouille en informatique, je me suis dit que je pourrais aider ceux qui ne s’y connaissent pas trop. Aujourd’hui, c’est devenu essentiel dans la vie de tous les jours. »
C’est aussi l’avis de Dominique, la soixantaine. Elle accompagne bénévolement des personnes en situation de précarité dans un lieu d’accueil du Secours Catholique du département : « Finalement, eux et nous partageons la même exclusion. »